Néléni bulletin No. 61 : Ancrés dans la résistance, les territoires pour la justice climatique

Les terres, eaux, forêts et écosystèmes constituent la base de la vie pour les peuples autochtones, les paysan·nes, les pêcheur·euses traditionnel·les, les pastoralistes, les peuples des forêts, les travailleur·euses et les autres communautés rurales. Les peuples autochtones considèrent leurs territoires comme l’intégralité de l’habitat qu’ils habitent ou utilisent, le point d’ancrage de la culture, de l’identité et des moyens de subsistance. Au-delà de la production alimentaire, ces territoires assurent des fonctions sociales, culturelles, spirituelles et écologiques essentielles. Pourtant, les biens fonciers et naturels sont vivement disputés, et leur répartition inégale reflète la discrimination structurelle et les injustices historiques. Au fil des siècles, des processus d’enfermement, de colonialisme et de dépossession ont concentré le contrôle aux mains d’acteurs puissants, exacerbant ainsi l’oppression et l’exclusion.

Aujourd’hui, l’effondrement climatique, la perte de biodiversité et l’injustice environnementale, causés par des économies néolibérales basées sur la financiarisation, le patriarcat et le colonialisme, renforcent ces luttes. L’accès, l’utilisation et le contrôle des communautés sur les terres et les territoires restent essentiels pour faire avancer les transformations systémiques souhaitées par le mouvement pour la souveraineté alimentaire. Les territoires sont des terrains de résistance contre les projets d’extraction qui mettent en danger la santé, les moyens de subsistance et les écosystèmes, mais ce sont aussi des espaces où les communautés créent des alternatives reposant sur l’agroécologie. Ces modèles promeuvent la souveraineté alimentaire, la dignité et la justice (sociale, climatique, environnementale, de genre et intergénérationnelle).

Alors que les mouvements sociaux se préparent à la COP 30 sur le Climat et la deuxième Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (CIRADR +20), cette édition du bulletin Nyéléni met en avant le rôle central des terres et des territoires dans la création de futurs justes et durables.

FIAN International, Les Amis de la Terre International, Groupe ETC, La Via Campesina

Lire le bulletin d’information Nyeleni n° 61 ici

Illustration créée pour le 3e Forum Global Nyéléni: Cultiver ou mourir, Chardonnoir –
https://nyeleniglobalforum.org/nyeleni-virtual

Les États doivent saisir l’occasion des négociations à l’ONU : décider de mesures de protection réelles contre les violations et les abus des droits humains commis par les entreprises

FIAN International plaidera en faveur d’un instrument juridiquement contraignant (LBI) ambitieux lors des négociations. Si les États ne soutiennent pas cette initiative, l’impunité des entreprises continuera de porter atteinte aux droits humains, à la justice et à la dignité des personnes en première ligne face à l’extractivisme, à l’accaparement des terres, aux dommages climatiques, aux abus en matière de travail et à la destruction de l’environnement.

Les droits environnementaux ont été particulièrement affaiblis dans la dernière version du projet de LBI. FIAN et des organisations partenaires appellent les États à réintégrer dans l’instrument un langage fort consacrant le droit à un environnement propre, sain et durable, comme l’indique une étude récemment publiée.

« Nous sommes prêts, aux côtés des mouvements paysans, de peuples autochtones, de travailleurs, de défenseurs de l’environnement et de communautés touchées, à faire pression pour obtenir un traité qui ait du mordant », déclare Ayushi Kalyan, coordinatrice de la responsabilité des entreprises chez FIAN International.

« À Genève, nous ferons pression avec nos partenaires pour obtenir des dispositions textuelles qui garantissent la justice, la responsabilité et le respect des droits humains avant les profits des entreprises. »

Un traité solide fondé sur les droits

Cette semaine verra la poursuite des négociations menées par les États sur les articles 12 à 24 et une discussion interactive basée sur le résumé du président des trois consultations intersessions qui ont eu lieu plus tôt cette année, ainsi que sur ses propres propositions de réécriture des articles 4 à 11. Celles-ci n’ont été publiées que cinq jours avant le début des négociations, laissant peu de temps à la société civile et aux États pour les analyser correctement. Les lobbies d’entreprises et les représentants du monde des affaires ont participé activement aux consultations intersessions cette année, diluant encore davantage le projet et faisant pression en faveur de normes volontaires plutôt que de dispositions juridiquement contraignantes.

De plus, la reformulation des articles 4 à 11 proposée par le président-rapporteur présente une version simplifiée et procédurale du LBI qui privilégie la convergence textuelle entre les États plutôt que l’ambition substantive. Si les suggestions du président comportent certaines avancées positives, elles restreignent toutefois les obligations des États en les subordonnant aux cadres juridiques nationaux, en n’intégrant pas suffisamment les dimensions environnementales et de genre et en assouplissant les dispositions relatives à la responsabilité des entreprises et à l’accès à la justice.

Cette approche diverge de la position de FIAN, qui appelait à un traité solide, fondé sur les droits, reposant sur des obligations contraignantes pour les États, des mesures de précaution, une protection environnementale forte, une responsabilité solidaire obligatoire et le droit des communautés de dire « non ! ». Le calendrier et le contenu du projet du président risquent de mettre de côté ces propositions substantielles de la société civile et des pays du Sud, orientant le processus vers un consensus procédural plutôt que vers une justice transformatrice.

Il est temps d’agir

Les choix qui seront faits aujourd’hui détermineront si l’instrument final sera solide ou s’il sera édulcoré au point d’être inefficace.

« Si des normes fortes et contraignantes ne sont pas adoptées, l’impunité des sociétés transnationales se poursuivra », déclare Stephan Backes, coordinateur des obligations extraterritoriales des États chez FIAN International.

Nous appelons tous les États à participer à cette session de négociation avec ambition et courage. Nous avons besoin d’un traité qui établisse des obligations contraignantes pour les sociétés transnationales, des mécanismes d’application solides et des recours efficaces pour les populations touchées. Il doit aborder les liens entre le pouvoir des entreprises, la destruction de l’environnement, l’injustice climatique, le complexe militaro-industriel et les inégalités entre les sexes, notamment par le biais de réparations, de sanctions et de désinvestissements dans les industries abusives.

Ces dimensions doivent être intégrées dans l’ensemble du traité et ne pas être traitées comme des questions secondaires. Il est également essentiel d’empêcher toute ingérence indue des intérêts commerciaux qui cherchent à affaiblir la protection des droits humains. Le processus doit être guidé par les principes des droits humains plutôt que par les intérêts des entreprises.

Ces négociations ne doivent pas être précipitées ni édulcorées pour répondre aux pressions des entreprises ou géopolitiques. Un accord faible ou symbolique ne ferait que légitimer le statu quo de l’impunité.

Pour plus d’informations, veuillez contacter Ayushi Kalyan kalyan@fian.org ou Stephan Backes backes@fian.org

Les entreprises doivent répondre de leurs actes : reconnaître le droit à un environnement sain

Partout dans le monde, des communautés sont touchées par le pouvoir transnational incontrôlé et non réglementé des entreprises, qui entraîne la contamination des réserves d’eau, la perte de terres agricoles, la destruction des systèmes alimentaires et la perte des moyens de subsistance. Pourtant, trop souvent, les entreprises ne répondent pas de leurs actes, tandis que les communautés se retrouvent sans recours ni justice, comme le souligne une nouvelle étude consacrée aux questions environnementales, intitulée « Les entreprises doivent répondre de leurs actes envers les populations et la planète », qui vise à orienter les discussions des Nations Unies.

La prochaine session du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée du Conseil des Droits de l’Homme, qui se tiendra en octobre 2025 – la onzième série annuelle de négociations –, offre un potentiel énorme pour limiter le pouvoir excessif des entreprises et protéger les communautés et l’environnement. Les États négocieront les articles finaux du projet actualisé de l’instrument juridiquement contraignant (LBI) visant à réglementer les sociétés transnationales dans le cadre du droit international des droits humains. FIAN et d’autres organisations internationales de la société civile insistent pour que le LBI reconnaisse explicitement le droit à un environnement propre, sain et durable et intègre ce droit – ainsi que des considérations plus larges relatives à l’environnement et au changement climatique – dans l’ensemble de ses dispositions substantielles.

« C’est très simple. Si la LBI ne prévoit pas de mesures de protection environnementale strictes, elle trahira les communautés qu’elle est censée protéger », déclare Ayushi Kalyan, coordinatrice de la responsabilité juridique des entreprises chez FIAN International.

Normes internationales applicables

Les communautés, les défenseuses et défenseurs des droits humains et de l’environnement militent depuis longtemps pour cet ajout au droit international relatif aux droits humains.

En Amérique latine, des familles continuent de se battre pour obtenir justice, plusieurs décennies après que la société suédoise Boliden Mineral ait déversé des déchets toxiques à Arica, au Chili, causant des problèmes de santé généralisés chez les personnes vivant à proximité du site de décharge. En Palestine, des entreprises telles que Heidelberg Materials sont accusées d’avoir contribué au pillage des ressources naturelles des territoires occupés. À travers l’Afrique et l’Asie, les projets d’extraction privent les peuples autochtones et les communautés rurales de leurs territoires et de leurs systèmes alimentaires. Chaque cas souligne le besoin urgent de normes internationales claires et applicables qui privilégient les droits humains et la protection de l’environnement plutôt que les profits des entreprises.

La Cour internationale de justice et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont toutes deux affirmé l’obligation des États de réglementer les acteurs privés et de prévenir les dommages environnementaux transfrontaliers. Plus de 80% des États membres de l’ONU reconnaissent déjà légalement le droit à un environnement sain.

« Le LBI doit reconnaître explicitement le droit à un environnement sain, protéger les défenseuses et défenseurs contre les représailles et garantir aux victimes un accès réel à la justice », déclare Stephan Backes, coordinateur des obligations extraterritoriales chez FIAN International.

Combler l’écart

Les Etats ont désormais la responsabilité de combler le fossé au niveau mondial en inscrivant ce droit au cœur du LBI.

L’étude publiée aujourd’hui propose aux États des textes juridiques concrets visant à renforcer les dispositions du LBI, en veillant notamment à ce qu’il inclue la diligence raisonnable en matière d’environnement, les mesures de précaution et la primauté des droits humains et des obligations environnementales sur les accords commerciaux et d’investissement. Les États devraient examiner attentivement ces recommandations et les intégrer dans leurs contributions lors du prochain cycle de négociations en octobre, et continuer à s’appuyer sur ces propositions dans le cadre de leurs actions de plaidoyer en cours dans les espaces et processus nationaux, régionaux et internationaux concernés.

Alors que le monde se rapproche de l’effondrement climatique, ce processus LBI représente une occasion cruciale de demander des comptes aux entreprises. Les États ne doivent pas la gaspiller.

Pour plus d’informations, veuillez contacter Ayushi Kalyan Kalyan@fian.org ou Stephan Backes Backes@fian.org.

Les coûts sanitaires et nutritionnels des supermarchés

À mesure que les supermarchés se développent, les systèmes alimentaires traditionnels se réduisent, mettant en péril les régimes alimentaires traditionnels et leurs bienfaits pour la santé humaine. C’est le thème central de notre bulletin de septembre.

Des recherches menées dans la région du Kilimandjaro, en Tanzanie, ont montré que le passage à un régime alimentaire occidental entraînait des effets négatifs sur la santé, tels qu’un accroissement des problèmes inflammatoires, un affaiblissement du système immunitaire et une prise de poids. À l’inverse, un retour aux aliments traditionnels produisait des effets anti-inflammatoires et réduisait les marqueurs de maladies métaboliques.

La prolifération des supermarchés à travers le monde provoque une croissance exponentielle des aliments ultra-transformés et raffinés qui ont une longue durée de conservation, ainsi qu’une diminution rapide de la disponibilité des aliments nutritifs, frais et plus périssables, notamment les fruits et les légumes. Ces aliments ultra-transformés sont associés à un risque accru d’obésité et d’autres maladies chroniques, telles que les maladies cardiaques, le diabète ou le cancer, voire la malnutrition chez les enfants. Ils sont majoritairement composés d’ingrédients issus de l’agriculture industrielle et des chaînes commerciales mondiales et entraînent une pollution chimique excessive de l’eau, de l’air et des sols.

En revanche, les circuits de distribution locaux, dotés de marchés locaux et de petits commerces de rue, offrent un meilleur accès à une grande variété d’aliments frais et sains, abordables et facilement accessibles. Les vendeurs et vendeuses de « cuisine de rue » jouent un rôle crucial dans ces systèmes alimentaires traditionnels. On estime que 2,5 milliards de personnes consomment de la cuisine de rue chaque jour. La plupart de ces commerces de rue ne disposent pas de grandes capacités de stockage et doivent souvent acheter de petites quantités d’ingrédients frais sur les marchés traditionnels ou directement auprès des agriculteurs et agricultrices locales. La qualité des aliments est assurée par des liens sociaux solides et la confiance entre les personnes qui produisent, vendent et consomment. Les aliments sont ensuite préparés grâce à des installations de transformation simples. À l’inverse, les aliments ultra-transformés, communément appelés « malbouffe », contiennent de fortes doses de sucres libres, de féculents raffinés, de sodium, de graisses saturées et d’acides gras trans, issues de substances ou d’additifs qui les rendent plus attrayants et prolongent leur durée de conservation. Dans les communautés où les pratiques alimentaires sont profondément enracinées, une des stratégies marketing des entreprises agroalimentaires et des chaînes de distribution consiste à imiter et recréer les aliments traditionnels à l’aide d’ingrédients industriels afin d’élargir leur marché.

Ce mois-ci se tiendra au Sri Lanka le troisième Forum mondial Nyéléni. Le processus Nyéléni met l’accent sur le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite selon des méthodes écologiquement responsables et durables. La production, la distribution et l’accès à la nourriture constituent un tissu socio-culturel cohérent qui contribue au bien-être nutritionnel et mental des populations, ainsi qu’à leur souveraineté alimentaire. Dans ce numéro, nous soulignons comment les systèmes alimentaires locaux doivent être le point d’entrée pour aborder des enjeux tels que la nutrition, les conditions de travail et le renforcement des communautés. Pour ce faire, nous prenons l’exemple d’une politique d’approvisionnement alimentaire saine dans les réseaux scolaires brésiliens et celui des initiatives de résistance à l’expansion des supermarchés en Afrique.

Lisez Supermarket Watch ici

Pour plus d’informations, veuillez contacter Laura Michéle: michele@fian.org.

CEDEF Tchad : Les femmes sont exclues dans la prise des décisions relatives à la terre

Le Centre africain de la paix, avec le soutien de FIAN International, a soumis un rapport parallèle sur le Tchad au Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).

Selon ce rapport, l’arrivée de Perenco en 2022 a entraîné de nombreuses violations des droits humains. Perenco a acquis de la terre dans la localité avec le soutien des autorités et sans respecter les droits fonciers coutumiers de la communauté. Les femmes de la communauté n’ont pas été consultées dans les décisions concernant l’accès et le contrôle de la terre. Elles ont également été exclues des discussions sur l’indemnisation foncière.

De plus, les activités de Perenco, notamment le déversement de déchets toxiques, ont détruit la terre agricole. La région a connu une recrudescence des maladies, en particulier des maladies respiratoires et cutanées. La contamination de l’eau et des sols affecte les femmes de la localité, qui sont chargées de collecter l’eau et de préparer les repas. De plus, les pénuries alimentaires ont aggravé la malnutrition chez les enfants et les femmes enceintes. Les jeunes filles sont souvent contraintes d’abandonner l’école et de se marier précocement.

Dans ses observations finales, le CEDEF a noté avec préoccupation que les attitudes patriarcales discriminatoires et les stéréotypes limitent l’accès des femmes rurales à la prise des décisions, ainsi qu’à la propriété, au contrôle et à l’utilisation de la terre.

Il a également noté l’absence de participation égale des femmes à la prise des décisions concernant la gestion des ressources en eau et les plans de développement rural. Le comité a recommandé au Tchad d’intégrer et de généraliser une perspective de genre dans toutes les stratégies et tous les plans de développement agricole et rural, et de permettre aux femmes rurales d’agir et d’être visibles en tant que parties prenantes, décideuses et bénéficiaires.

En outre, il a déclaré que le Tchad devrait démanteler les attitudes patriarcales et les stéréotypes sexistes qui entravent l’accès égal des femmes rurales à la terre et promouvoir leur accès à l’éducation, aux services de santé et à une eau et un assainissement adéquat.

Lire le rapport parallèle complet sur le Tchad au CEDEF ici.

Pour plus d’informations, veuillez contacter Valentin Hategekimana hategekimana@fian.org