Le CSA, plus qu’un forum de discussions des meilleurs pratiques
Si le rôle politique du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) n’est pas renforcé, nous allons continuer à nous éloigner de l’élimination de la faim dans le monde.
La 44ème session du CSA s’ouvre aujourd’hui, pour une semaine de discussions sur les politiques internationales de sécurité alimentaire et de nutrition. Salué en tant que principal espace politique international sur la question, le CSA est essentiel pour l’élaboration de politiques fondées sur les droits humains. Pourtant, il doit renforcer son rôle politique dans la lutte contre les multiples dimensions de la faim et de la malnutrition, afin qu’il ne devienne pas un simple lieu de discussion des meilleures pratiques.
Lutter contre la séparation de la nutrition et des systèmes alimentaires
Il y a une tendance croissante à détacher l’alimentation des ressources productives et des marchés locaux tenus par les petits producteurs alimentaires, ainsi qu’à décourager les régimes alimentaires diversifiés, sains et produits localement. Ceci s’accompagne d’approches proposées par le secteur privé, qui confinent la nutrition à l’interaction entre les nutriments et le corps humain, les domaines techniques et médicaux, minimisant ainsi le contexte socio-économique et culturel dans lequel les êtres humains se nourrissent. La malnutrition, par exemple, est réduite à un « manque de nutriments » qui ne peut être corrigé qu’avec des interventions techniques externes. Celles-ci impliquent principalement des compléments alimentaires industrialisés, des pilules et des poudres nutritives – qui de manière non surprenante génèrent des profits à grande échelle.
La nourriture n’est pas une simple marchandise ou une « remède », mais l’expression d’un processus social de manger et de s’alimenter dans lequel le bien-être nutritionnel est non seulement le but ultime, mais aussi une condition préalable.
Le CSA doit continuer à renforcer la gouvernance en matière de nutrition en promouvant la convergence des politiques et la cohérence vis-à-vis du droit à l’alimentation et des ressources qui le soutiennent. Les politiques et programmes nutritionnels doivent être fondés sur les droits humains et s’attaquer aux causes structurelles de la faim et de la malnutrition au moyen d’une approche holistique et intersectorielle qui tienne compte de la complexité et multidimensionnalité de leurs causes.
Aborder les causes profondes de la faim
Le CSA devrait jouer un rôle crucial dans l’élaboration de stratégies et de politiques pour faire face aux famines sans précédent ainsi que la hausse de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition – tout en maintenant l’espace politique pour donner une voix aux plus touchés. À l’heure d’aujourd’hui, aucune plateforme de l’ONU à l’échelle mondiale ne procède à une analyse collective et critique des réponses politiques à ces crises, ou n’aborde leurs causes profondes.
Dans l’esprit de sa réforme de 2009, le CSA devrait assumer son rôle politique et assurer une analyse qui corresponde aux dimensions individuelle, collective, interne et extraterritoriale des engagements de l’État ainsi qu’aux obligations découlant des traités internationaux, notamment des traités relatifs aux droits humains. Il devrait également promouvoir la responsabilisation des différents acteurs engagés dans la résolution des crises alimentaires. Il ne s’agit pas seulement d’examiner les réponses politiques mais les cadres économiques et politiques structurels.
Ce faisant, le CSA jouerait son rôle de promotion de la coordination, de la convergence, de la coopération, de la cohérence et de la responsabilisation à des politiques et actions menées à l’échelle mondiale dans les domaines de l’aide humanitaire, du développement et des droits humains – tel qu’indiqué dans Cadre d’action du CSA pour la sécurité alimentaire et la nutrition lors des crises prolongées.
Participation politique et responsabilisation des obligations liées aux droits humains
Nous assistons à la façon dont les gouvernements à travers le monde se dirigent vers des régimes autoritaires et oppriment ou font taire les mouvements sociaux et les communautés par la violence physique, sociale et économique. Cela s’accompagne d’une criminalisation croissante des personnes et des mouvements qui se mobilisent pour revendiquer leurs droits contre l’impunité totale des entités gouvernementales qui privilégient les intérêts commerciaux par rapport à la souveraineté des peuples. Le CSA doit conserver l’espace nécessaire pour mener une analyse politique de ces tendances inquiétantes.
Et lorsque ceci se produit, les États réduisent leur soutien politique et financier aux espaces inclusifs, y compris le CSA. Ce contexte tend à ouvrir les portes au secteur privé, qui justifie de plus en plus sa participation aux décisions de l’ONU en contribuant au financement des espaces politiques, ce qui entraîne des conflits d’intérêts. Alors que les États doivent renforcer leur engagement en faveur des politiques alimentaires et nutritionnelles dans le cadre des droits humains, le CSA doit mettre en place des garanties solides pour se protéger contre toute influence indue.
La participation démocratique de la société civile se rétrécit de plus en plus à tous les niveaux, tandis que l’espace pour que les intérêts des entreprises influencent indûment les processus politiques s’agrandit rapidement. La légitimité du CSA dépend de sa capacité à faire le suivi de la responsabilisation des acteurs et à faire en sorte que les voix des personnes les plus touchées par la faim et la malnutrition soient au premier plan des processus politiques.
Le CSA possède une valeur unique en apportant différents points de vue sur la façon de surmonter les défis qui empêchent la population mondiale d’accéder à une alimentation adéquate et les moyens de sa production. Si nous ne renforçons pas le rôle politique du CSA et cet espace de participation, nous continuerons à nous éloigner des objectifs de lutte contre la faim dans le monde.
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