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Mali: Peasants arrested trying to work on grabbed lands

On April 23, peasants from the communities of Sanamadougou and Saou, located in the region of Ségou and in the zone of the Office du Niger, Mali, were arrested when they tried to prepare their fields for this year's agricultural activities. Their ancestral lands have been grabbed by the company Moulin Moderne du Mali since June 2010. Since then, several families have been impeded from accessing their fields and rely entirely on the solidarity of other villages for their survival.

The case of the communities of Sanamadougou and Saou has to be seen in the context of an increasing number of land grabs in Mali and especially in the Office du Niger region. Most of these investment projects are undertaken with the support of the Malian state, who in many cases leases the lands it claims to be state lands. Recent studies estimate that up to 85 % of Mali’s arable land has been leased or is under negotiation for lease. About 70% of Malians work in agriculture and the country relies heavily on small-scale farming, which produces up to 80 % of Mali’s food. In the Office du Niger area, small holder production represents 56% of the area cultivated. The peasant communities rely entirely on agriculture for their livelihoods.

Last week’s arrests come at an important moment in the Malian peasants’ struggle for their lands: on May 3, the court of Markala was expected to judge the case filed by the communities of Sanamadougou and Saou. On the same day, another case of land grabbing in the region was heard, filed by the community of Sansanding.

FIAN has sent an Open Letter to the Prime Minister of Mali on the issue. You can read the text of the letter below (French).

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Dr. Cheick Modibo Diarra
Premier Ministre de la République du Mali
Primature
Bamako, Mali

Heidelberg, le 2 mai 2012

Monsieur le Premier Ministre,

FIAN est une organisation internationale qui travaille pour la promotion et la défense des droits humains, et en particulier du droit à l’alimentation. FIAN est une organisation à but non-lucratif qui n’a aucune affiliation religieuse ou politique et qui est active dans plus de 50 pays à travers le monde. Elle possède le statut consultatif auprès l’Organisation des Nations Unies et de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

En tant que Secrétaire général de FIAN, je me permets de vous écrire à propos de la situation préoccupante des paysannes et paysans maliens dans la zone de l’Office du Niger (ON). FIAN a reçu des nouvelles inquiétantes sur la situation des habitants des villages de Sanamadougou et Saou, commune rurale de Sibila, région de Ségou. À l’approche de la campagne agricole, le 23 avril 2012 précisément, plusieurs paysannes et paysans se sont rendus dans leurs champs pour préparer le sol, mais ils ont été menacés par des coups de feu tirés en l’air par une personne étrangère au village. Huit personnes de la communauté ont été interpellées, dont trois ont été arrêtées et amenées à la brigade de gendarmerie de Markala. Une des personnes arrêtées était le chef de village. Après avoir été enfermés et interrogés, les villageois ont été relâchés au cours de la soirée avec l’obligation pour le chef de village de se rendre à nouveau à la gendarmerie le lendemain.

Ces arrestations s’inscrivent dans une suite d’événements au cours desquels les habitants de ces communes se sont vus empêchés d’accéder à leurs terres qui constituent leur unique moyen de subsistance. Selon nos sources, les terres où les arrestations se sont produites ont été accaparées par la Société Moulin Moderne du Mali (M3), qui dispose d’un bail délivré par l’Office du Niger. En effet, le 31 mai 2010, un bail a été signé entre le PDG de l’ON et M. Modibo Keita, représentant la société Moulin Moderne du Mali. Le bail concède à cette société 7.400 hectares situés dans le casier de Séribabougou, zone de M’Bewani. Or, à partir du 18 juin 2010, des bulldozers ont commencé à détruire les champs et de nombreux arbres fruitiers des habitants des communes de Sanamadougou et de Saou, éloignées de plus de 30 km des terres attribuées à 3M. Lorsque les habitants se sont opposés à la destruction de leurs champs, des gendarmes sont intervenus en faveur des travailleurs de la Société Moulin Moderne du Mali, afin de permettre le bon déroulement des opérations. Selon les témoignages des villageois, un grand corps de gendarmes lourdement armés est intervenu, utilisant des matraques et du gaz lacrymogène contre les paysans. Le bilan de cette journée est de plusieurs personnes blessées et plus de 40 personnes arrêtées.

Selon des témoignages des habitants de Sanamadougou et de Saou, ceux-ci sont physiquement empêchés par la force d’accéder à leurs terres par des personnes armées employées par la Société Moulin Moderne du Mali et des gendarmes. Les chefs de villages ont envoyé à plusieurs reprises des courriers aux autorités locales et nationales pour dénoncer les faits et pour demander une intervention des responsables. Depuis le mois de mai 2010, plusieurs courriers ont été envoyés aux autorités, dont, entre autres : le Premier ministre, le Ministère de la Sécurité Intérieure et de la Protection Civile, le Ministère de la Justice, le Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales, le Ministère de l’Agriculture, le Secrétaire d’Etat de l’ON, le PDG de l’ON, le Gouverneur de Ségou et le Président de l’Assemblée régionale de Ségou. Suite à ces communications, plusieurs rencontres avec les représentants des autorités de l’ON ont eu lieu.

Pourtant, ces paysans n’ont toujours pas récupéré l’accès à leurs terres qui est leur seul moyen de survie. Les populations se trouvent à présent dans une situation extrêmement précaire : depuis des mois, des dizaines de familles souffrent de la faim et ne survivent que grâce à la solidarité d’autres villages. De plus, les habitants subissent des pressions morales et physiques permanentes. À plusieurs reprises, des personnes ont été emprisonnées. Face à cette situation, les villages de Sanamadougou et de Saou ont déposé plainte au tribunal de Markala pour dénoncer la violation de leurs droits fonciers coutumiers sur leurs terres ancestrales, le non-respect des provisions du bail de la part de la Société Moulin Moderne du Mali et la complicité des autorités maliennes dans les agissements de ce dernier.

La situation des habitants des communes de Sanamadougou et de Saou s’inscrit dans un processus d’accaparement de terres plus large qui se déroule depuis quelques années au Mali, et particulièrement dans l’ON. Selon des études récentes, à la fin 2010, au moins 800.000 hectares de terres fertiles ont été cédées en bail ou ont fait l’objet de négociation au Mali. Ceci représenterait entre un tiers et 85% des terres arables du Mali. La plupart de ces investissements à grande échelle dans des terres agricoles concernent la région de l’ON, à cause de la fertilité des sols et de la politique de promotion mené par l’État malien. Nous pouvons également citer le Projet Sucrier Markala, qui prévoit des cultures de canne à sucre sur 14.000 hectares dans la commune de Sansanding, cercle de Macina, région de Ségou. Le village de Sansanding a également déposé une plainte au tribunal de Markala.

Ces projets sont le plus souvent justifiés par la contribution qu’ils apporteraient à la sécurité alimentaire du Mali. Or, force est de rappeler que 70% des Maliens travaillent dans l’agriculture et que le pays dépend fortement de l’agriculture familiale pratiquée par les communautés paysannes, qui nourrit 80% de la population. Dans la zone de l’ON, l’agriculture familiale représente 56% de la superficie cultivée. Les communautés paysannes dépendent entièrement de l’agriculture qui est leur seul moyen de subsistance.

Les habitants de Sanamadougou et Saou ont perdu l’accès à leurs terres à cause de l’interférence d’un tiers agissant de connivence avec les autorités étatiques maliennes. Ces familles risquent maintenant de tomber dans l’insécurité alimentaire. En manquant de respecter les droits fonciers coutumiers de ces communautés et de les protéger contre l’interférence d’un tiers, l’État malien a violé les droits de ces familles.

Ne rien faire pour empêcher la perte de l’accès à leurs terres est une violation du droit à une alimentation adéquate de la part de l’Etat. Ce droit est garanti par l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et ses implications ont été précisément définies par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies (CDESC) dans son Observation générale N° 12.

Ayant ratifié le PIDESC, le Mali est obligé de respecter, protéger et donner effet au droit à l’alimentation de sa population, et des communautés paysannes de l’ON en particulier. Pour ces dernières, l’accès à leurs terres et aux ressources coutumières est une condition préalable pour la réalisation de leur droit à une alimentation adéquate, faute d’options alternatives pour subvenir à leurs besoins. Le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation a souligné à plusieurs reprises le lien immédiat entre l’accès à la terre, les droits fonciers et le droit à l’alimentation. De même, l’article 21 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ainsi que l’article 1 de la Charte internationale des droits humains soulignent qu’en aucun cas un peuple peut être privé de ses richesses et ressources naturelles ou de ses propres moyens de subsistance.

Je vous rappelle également qu’au mois de mars dernier, les négociations intergouvernementales sur les Directives pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, se sont terminées avec succès au sein du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA). Ce document contient des dispositions fortes pour la protection des systèmes fonciers coutumiers et pour la protection des détenteurs de droits fonciers contre la perte arbitraire de ces droits, et notamment les expulsions forcées. De plus, ces directives soulignent l’importance pour les États de soutenir et de renforcer les investissements effectués par les paysans eux-mêmes ainsi que les investissements alternatifs qui n’impliquent pas de transactions de terres à grande échelle.

Cependant, étant donné l’absence de réaction des autorités maliennes face à la situation des paysans dans l’ON, voir même de leur complicité avec les accapareurs, il apparaît que le gouvernement du Mali ne respecte pas ses obligations selon le droit international.
Pour remédier à cette situation, je demande au gouvernement du Mali

– de respecter ses obligations selon le droit international relatif aux droits de l’Homme ;

– de respecter les droits fonciers coutumiers des communautés, selon les dispositions des articles 43 et 45 du code domanial et foncier, et de restituer leurs terres aux paysans et paysannes ;

– le versement d’indemnités de compensation aux paysans et paysannes  pour les dommages subis ;

– le respect des dispositions de la Loi d’orientation agricole par l’adoption concertée d’une politique foncière agricole (article 77) ;

– de respecter l’engagement pris lors de la marche de protestation de l’Union des associations et des coordinations d’associations pour le développement et la défense des droits des démunis (UACDDDD) contre les accaparements de terres le 13 mars à Bamako, à savoir de répondre aux revendications des organisations de la société civile concernant les accaparements de terres ;

– le gel des travaux d’aménagement en cours dans les sites litigieux et la suspension des transactions et/ou des pourparlers en attendant la résolution des conflits ;

– d’assurer que tous les conflits soient réglés sans violence ;

– d’engager un dialogue politique avec les acteurs du secteur agricole en organisant une table ronde nationale autour de la problématique du foncier agricole.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Dr. Flavio Valente

Secrétaire général
FIAN International

 

cc: Ambassade de la République du Mali en Allemagne