Les banques publiques de développement doivent arrêter de financer l’agrobusiness

Ce sommet suit de près le Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires, présenté à l'origine comme un forum destiné à lutter contre la faim dans le monde, mais détourné par les intérêts des entreprises et utilisé pour présenter de fausses solutions privées motivées uniquement par le profit.

Rien ne permet de penser que le Sommet “Finance in Common” sera différent, notamment parce que le sommet de l'année dernière n'a pas réussi à adopter une approche basée sur les droits humains ou les communautés, mais aussi parce que les banques publiques posent depuis longtemps des problèmes d’impact sur les droits humains.

À la veille du sommet, FIAN International, aux côtés de 280 autres organisations de la société civile et mouvements sociaux, appelle les gouvernements à mettre fin au soutien financier des États aux entreprises agroalimentaires et aux projets qui accaparent les terres, les ressources naturelles et les moyens de subsistance des communautés locales.

Un bilan médiocre

Les BPD sont des institutions financières mandatées, contrôlées et en grande partie financées par les États; elles financent des activités devant contribuer à l'amélioration des conditions de vie des populations, en particulier dans le Sud. Elles représentent plus de 2 billions de dollars par an de financements accordés à des entreprises publiques et privées pour des projets tels que des routes, des centrales électriques ou des plantations agro-industrielles. On estime que 1,4 billion de dollars sont ainsi investis dans le secteur agroalimentaire.

De nombreuses BPD ont des pratiques médiocres en matière de transparence et d'investissements qui profitent aux entreprises agroalimentaires au détriment des agriculteurs.trices, des éleveurs.euses, des pêcheurs, des travailleurs.euses du secteur alimentaire et des populations autochtones, portant ainsi atteinte à leur souveraineté alimentaire, aux écosystèmes et aux droits humains. Par ailleurs, elles ont un lourd héritage d'investissements dans des entreprises impliquées dans des accaparements de terres, la corruption, la violence, la destruction de l'environnement et d'autres violations graves des droits humains.

Leur recours croissant à des fonds de capital-investissement offshore et à des réseaux d'investissement complexes – y compris via des intermédiaires financiers – pour canaliser les investissements rend leur contrôle très difficile, comme l'ont montré les récentes révélations concernant la Société allemande d'investissement et de développement (DEG).

Implication dans des violations les droits humains

DEG, une filiale de la plus grande banque de développement publique allemande Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), fournit des milliards d'euros en financement du développement en Amérique latine, en Asie et en Afrique.

FIAN Allemagne surveille depuis de nombreuses années les violations des droits humains liées aux investissements de ces banques, malgré les nombreux obstacles liés au manque de transparence de ces dernières. Plus de la moitié du financement annuel de la DEG passe par des intermédiaires financiers et d'autres banques et fonds.

Même le gouvernement allemand n'a pas une image claire de la destination de cet argent et de son impact réel. Il est donc pratiquement impossible de forcer les banques à respecter les obligations de l'Allemagne en matière de droits humains. Dans les cas où FIAN a pu identifier des investissements concrets dans des entreprises agroalimentaires, il y avait également des preuves de violations des droits humains.

En Zambie, par exemple, la DEG continue de financer la plus grande entreprise agroalimentaire du pays, Zambeef, à hauteur de dizaines de millions de dollars US, bien que FIAN ait documenté des cas d'expulsions forcées impliquant Zambeef dès 2013. Au Paraguay, la DEG est copropriétaire du deuxième plus grand propriétaire foncier du pays, l’entreprise PAYCO (Paraguay Agricultural Corporation), qui achète des terres à grande échelle, y compris des territoires indigènes habités, pour des projets agro-industriels à grande échelle qui font un usage intensif de pesticides.

« Ces cas illustrent bien les préférences de la DEG en matière d'investissement dans l'agro-industrie à grande échelle, qui exclut de facto un développement équitable, centré sur l’humain et la durabilité et ancré dans le droit à l'alimentation », souligne Roman Herre, chargé de recherche et de plaidoyer chez FIAN Allemagne.

Pas de reddition de comptes

La décision de la banque publique de développement belge (BIO), conjointement avec d'autres BPD européennes et nord-américaines, de soutenir la production d'huile de palme par Feronia PHC en République démocratique du Congo (RDC) – malgré la répression violente des militants des communautés locales – est un autre exemple.

« Bien que les demandes des communautés concernées aient été relayées auprès de la banque, il n'y a pas de réelle voie de recours ou de moyen de demander des comptes BIO », explique Florence Kroff, coordinatrice de FIAN Belgique.

« Avant même la décision de financer ce projet, nous avons interpellé BIO sur les risques de violations des droits humains qu'impliquerait le soutien à cette agro-industrie en RDC. D’autant que l’acquisition de la concession contestée de 100.000 ha de terres date de l’époque coloniale belge », ajoute-t-elle.

« Outre la pollution environnementale et les conditions de travail indécentes dans les plantations, l'argent public belge – mais aussi allemand, français, néerlandais et autres – alimente un climat violent de criminalisation dans la région, qui a déjà conduit à des dizaines d'arrestations et de détentions arbitraires et à la mort de plusieurs activistes défendant leur terre ».

Il est temps de tenir les banques publiques de développement, et les gouvernements qui les contrôlent, responsables des violations des droits humains qu'elles alimentent et de mettre fin à tous les investissements qui ne sont pas ancrés dans le droit à l'alimentation, une approche centrée sur les communautés locales et le développement durable.

FIAN International demande :

    – L'arrêt immédiat du financement des activités des entreprises agroindustrielles et des investissements spéculatifs par les banques publiques de développement.

    – La création de mécanismes de financement entièrement publics et redevables afin de soutenir les efforts des populations pour bâtir la souveraineté alimentaire, faire du droit à l’alimentation une réalité, protéger et restaurer les écosystèmes et faire face à l’urgence climatique.

– La mise en place de mécanismes solides et efficaces qui fournissent aux communautés un accès à la justice en cas d’atteinte aux droits humains ou de dommages sociaux et environnementaux causés par les investissements des BPD.

Zambie: un rapport de l’ONU présente les effets négatives de l’investissement agricole à grande échelle

Le Professeur Hilal Elver, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, a présenté son rapport sur la situation alimentaire en Zambie au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève cette semaine. Le rapport constate que l’agriculture à grande échelle promue par le gouvernement zambien entraîne le déplacement des petits agriculteurs et a des effets néfastes sur leur nutrition et leur santé. Le rapport fait suite à la visite du professeur Elver dans un certain nombre de communautés en Zambie, y compris celles soutenues par FIAN International et ses sections zambienne et allemande.

Le rapport réaffirme l’analyse de FIAN en ce qui concerne les investissements agricoles à grande échelle en Zambie: l’accès à une alimentation adéquate et nutritive est effectivement un défi dans la majeure partie du pays, tout particulièrement pour les femmes et les enfants dans les zones rurales. « La politique du gouvernement consistant à transformer l’agriculture commerciale à grande échelle et orientée vers l’exportation en moteur de l’économie nationale, dans une situation où la protection des terres est faible, risque d’expulser les paysans de leurs terres, et donc de la production, avec un impact sévère sur leur droit à l’alimentation. Les conséquences de telles politiques est particulièrement inquiétant étant donné que les petits agriculteurs représentent près de 60% de la population et dépendent de la terre pour leur subsistance; en même temps, ils nourrissent environ 90% de la population zambienne », peut-on lire dans le rapport.

“Conditions de fortune” pour les communautés touchées

La Rapporteuse spéciale s’est rendue dans la communauté Ngambwa à Mkushi, dans la province centrale, où environ 70 familles vivaient dans des conditions de fortune. La plupart des membres de la communauté vivent dans la région depuis les années 1980 et survivent actuellement grâce au travail informel faiblement rémunéré, principalement en tant que travailleurs agricoles. Dans ses entretiens, la Rapporteuse spéciale a été informée que les gens mangeaient à peine une fois par jour, qu’ils étaient parfois obligés de faire de la soupe de plantes vertes locales pour nourrir leurs familles et leurs enfants, et qu’ils étaient constamment menacés d’expulsion. La Rapporteuse spéciale recommande aux autorités de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir les droits humains des familles touchées, y compris leur droit à la terre, crucial à la réalisation de leur droit à l’alimentation et à leurs droits culturels.

Commentant le rapport, Archie Mulunda de FIAN Zambie, qui participait à cette visite, a déclaré: « Nous sommes d’accord avec le contenu du rapport de la Rapporteuse spéciale. FIAN Zambie exhorte le gouvernement zambien et toutes les autres parties prenantes à prendre les conclusions au sérieux, tout particulièrement en ce qui concerne la menace d’expulsion de la communauté de Mkushi. Les problèmes de nourriture et de nutrition sont au cœur de leur santé et de leur survie ».

L’implication d’acteurs extraterritoriaux

Pendant des années, FIAN International, en particulier à travers sa section allemande, a soulevé des inquiétudes sur le financement des plus grands investisseurs agricoles en Zambie, y compris ceux impliquant l’aide au développement allemande. La recherche de FIAN en Zambie a documenté à plusieurs reprises des situations problématiques pour les droits humains liées à des investissements engageant la Banque allemande de développement (DEG) et le Fonds de développement de l’AATIF lancé par le Ministère allemand du développement (BMZ) à Luxembourg. DEG a également financé l’investisseur agricole allemand Amatheon Agri, qui a acquis plus de 40 000 hectares en Zambie.

En dépit d’avoir soulevé ces questions à maintes reprises aux parties concernées, FIAN dénote qu’aucune évaluation efficace et indépendante d’impacts sur les droits humains de ces projets de développement n’a encore été effectuée.

« Les résultats de notre travail sont clairement confirmés par le rapport : le financement des investisseurs et des entreprises agroalimentaires telles que Agrivison de Maurice, Zambeef ou Export Trading Group – qui sont tous liés à des litiges fonciers en Zambie – contrecarre toute approche de développement basée sur les droits humains » souligne Roman Herre, expert agraire de FIAN Allemagne.

La Rapporteuse spéciale recommande à la Zambie de préparer et d’adopter une loi-cadre nationale sur le droit à l’alimentation fondée sur les droits humains, assortie de repères et de plans de mise en œuvre efficaces pour chaque région. Elle suggère également d’adopter une politique foncière nationale inclusive et sensible au genre, fondée sur les principes des droits humains, les Directives des Nations-Unies pour une gouvernance responsable des régimes fonciers, applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, ainsi que l’établissement de mécanismes de suivi de cette politique efficaces.

Pour plus d’informations, veuillez consulter le rapport du Professeur Hilal Elver ici
En cas de questions, veuillez contacter Roman Herre: R.Herre[at]Fian.de , Tel: 01520-7067302

L’accaparement des terres et la malnutrition en Zambie mis à l’index

En Zambie, la concentration toujours plus importante de terres aux mains des agro-industriels gêne l’accès des communautés de petits exploitants aux ressources vitales. Cette tendance semble être involontairement accentuée par la politique de développement européenne, ce qui contribue à faire augmenter le taux de malnutrition en Zambie. C’est sur les répercussions de cette politique sur les droits humains que se concentrera le spécialiste des droits fonciers, Archie Mulunda, lors de sa visite dans la capitale Européenne, à Bruxelles.

En Zambie, la ressource la plus importante pour les populations pauvres est la terre exploitée conformément au droit coutumier  […] En même temps, les grandes entreprises agricoles des pays développés convoitent et s’emparent de ces parcelles « , déclare M. Mulunda. Le gouvernement zambien appuie les investissements des entreprises étrangères mais ne fournit pas le cadre juridique nécessaire pour empêcher, dans ce contexte,  les violations des droits économiques, sociaux et culturels tel que le droit à l’alimentation.

Environ deux tiers de la population zambienne travaille dans l’agriculture, et 78 % vit en zone rurale, en dessous du seuil de pauvreté. Selon les Nations Unies, la proportion de la population sous alimentée est passée de 33,8 % à 47,8 %, au cours des 25 dernières années. Il est urgent de prévenir l’augmentation du taux de malnutrition ainsi que d’empêcher toute activité qui viole les droits humains.

Lors de sa visite à Bruxelles, M. Mulunda, accompagné de FIAN Allemagne, rencontrera la Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement International (DG DEVCO), afin de discuter de la politique de développement de l’UE en Zambie et de l’impact des capitaux privés européens dans le pays.  La réhabilitation de la Grande route de l’est, une extension du corridor de Nacala, projet soutenu par l’UE, et qui a fait l’objet de vives critiques de la part de la société civile, sera également à l’ordre du jour.

Pour tout renseignement complémentaire, veuillez vous adresser à A Policy Approach to Address Land Grabbing  » (disponible en anglais et en espagnol).